
Juil 2019 Je suis trentenaire et je veux partir à la retraite
Le système actuel de retraite, hérité de l’ère industrielle, n’est plus adapté à notre époque, où l’indépendance devient la norme et la reconversion une nécessité. Un compte temps universel permettrait d’alterner librement, tout au long de la vie, les périodes de travail, de formation et de loisirs.
Comme beaucoup de trentenaires, j’ai très envie de prendre ma retraite. Quelques mois, quelques années à voyager, élever des moutons ou prendre soin d’une jeune famille. Il ne s’agit pas de vacances mais d’une parenthèse hors de l’activité sociale fidèle à l’étymologie de « retraite », comme Madame de Sévigné vantant au fil de ses lettres sa « douce retraite » dans sa résidence bretonne, ou Rousseau avertissant dans « La Nouvelle Héloïse » qu’il faut « une âme saine pour sentir les charmes de la retraite ». Hélas, nous devrons attendre jusqu’à 62 ans, âge légal réaffirmé par le haut-commissaire à la réforme des retraites .
Il est bien sûr possible de démissionner ou de négocier un chômage de convenance à travers l’artifice de la rupture conventionnelle. Mais l’organisation sociale reste fermement attachée à l’esprit du salariat, où l’on doit valider à la sueur de son front ses trimestres de cotisation. L’existence professionnelle est conçue comme une course d’endurance avec une ligne d’arrivée fixe et définitive. Qui a jamais assisté à un pot de départ à la retraite peut témoigner de la cruauté de cette rupture, où un employé épuisé par les réunions se mue brutalement en un senior hébété par la perspective d’un divertissement sans fin. Seule une petite élite, à commencer par nos politiques, parvient à faire fi du système qu’elle impose aux autres en alternant jusqu’à un âge très avancé périodes d’activité et de repos.
La réforme des retraites en cours de préparation , si elle introduit une certaine flexibilité, ne se départit pas de cette logique segmentée. Elle se trouvera nécessairement empêtrée dans une équation impossible entre droits acquis, allongement de l’espérance de vie et justice intergénérationnelle. Or, une autre approche serait possible. La notion moderne de retraite est liée à l’âge industriel avec son organisation économique en silos et ses carrières linéaires. On trouve certes dans les siècles précédents des systèmes de prise en charge de la vieillesse, depuis les pensions militaires jusqu’à des hôpitaux publics comme les Invalides. Mais c’est avec l’émergence du prolétariat que s’imposeront les réformes de Bismark en Allemagne, suivies par la loi de 1910 en France, pour généraliser la retraite, récompense d’une vie de labeur vouée au capital des autres. A l’âge numérique, où l’indépendance devient la norme et la reconversion une nécessité, où chacun devient à lui-même son propre capital, ne faut-il pas repenser la retraite… tout au long de la vie ?